10h place de la Bourse. Je voudrais qu’elle dure des heures, ma cigarette. Dans cinq minutes j’ai rendez-vous avec Didier Jacob pour qu’il raconte à mes lecteurs roumains la guerre littéraire dans les lettres françaises aujourd’hui. Quelle idée de demander cette itw ! Il va me massacrer, et mes questions naïves avec !
Didier Jacob, vous le connaissez. Depuis quatre ans le critique chronique sur son blog « Rebuts de presse » l’actualité littéraire et politique. Il ne s’interdit aucune pique, aucune attaque, aucune mise à mort. Il démolit Florian Zeller ou Frédéric Beigbeder, critique sévèrement des émissions littéraires comme Campus, ironise sur les Immortels ou les jurés Goncourt, décerne le Prix cruche. Méchant ? Assurément….
- Bonjour Aida.
- Bbbbbonjour….
Mince, jeans, sourire fin. Je n’arrive pas à lui donner un âge. Le critique littéraire du Nouvel Observateur n’a pas le visage fermé que j’attendais.
- Votre livre est né d’un post sur un blog. C’est peu banal…
- Oui, l’anecdote est amusante. L’éditeur ne m’a pas téléphoné, il m’a laissé un message sur mon blog en disant « pourquoi on ne publierait pas ces chroniques »…
- Vous avez dit oui tout de suite ?
- Je n’y avais pas pensé avant, le Rebuts de presse n’a pas du tout été écrit dans l’idée de faire un livre plus tard. J’ai relu avec une certaine angoisse les 150 billets, c’était difficile de faire un choix ; il a fallu réécrire certains. Je suis un peu perfectionniste et sur le blog on écrit vite, des textes pas très littéraires, dans un langage proche du parlé, qui privilégie le contenu sur la forme.
Mais cela s’est finalement fait très vite, mon éditeur souhaitait sortir le livre pour le 11 septembre, le choix des chroniques qui allaient être publiées s’est fait en un mois.
- Guerre est un mot fort. Il y a une guerre à Saint Germain de Prés ?
- Un climat violent, oui, vous ne trouvez pas ? Cela vient d’un manque de recul. Des écrivains comme des journalistes. Je pense que cela vient de cet esprit de sérieux, du premier degré, toute critique un peu négative est prise comme une attaque.
- « La critique est un art mineur, et peut-être pas un art du tout, mais quelle aventure ! C’est une sorte de billard imbécile mis au point par un inventeur fou, avec un nombre infini de bandes où la boule chaque fois rebondit, chaque fois roule, cogne et carambole. Ca se joue à plusieurs, à vingt, à mille, à toute l’histoire littéraire, c’est une auto-tamponneuse en folie dans le beau jardin des Lettres, et vas-y, tape, heurte, achève, assassine ! Excessif ? Bravo ! Injuste ? Nécessairement ! Mais si la critique peut aider à y voir plus clair, à flairer la supercherie pour admirer mieux quand l’auteur est sincère, alors il lui sera beaucoup pardonné. Salubrité publique – oui, il y a de ça ». Première phrase de votre avant propos. J’adore. Le livre aussi. Quelles sont vos chroniques préférées dans la Guerre Littéraire ?
- Pas nécessairement des chroniques, ce sont plutôt des extraits qui m’amusent : sur Angot, celui de grands lecteurs, ou des dédicaces…
- Votre pastiche de la rencontre Angot-Doc Gyneco est à mourir de rire ! Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde… je pense à Stalker . Avec quel sentiment un critique reçoit un billet comme celui de Stalker ?
- J’ai trouvé son texte plutôt amusant. J’aurais peut-être réagi différemment si j’avais écrit un texte plus personnel… mais même pas…Parce qu’en faisant ce métier on a un peu plus de recul.
- D’autres projets littéraires ? Ou pour le blog ?
- Pour le blog, peut-être. J’écrirai peut-être plus souvent, et d’une manière différente, je ne sais pas encore, mais j’y réfléchis. Littéraires, peut-être aussi. J’ai envie d’écrire quelque chose, mais sans sacraliser la chose, un texte qui continue à amuser un peu, à déconcentrer un peu sans trop se prendre au sérieux…. Comme des nouvelles, par exemple…
Fin de la discussion. Nos tasses sont vides. Je prends l’addition. Il insiste. La galanterie française, j’adore !
Didier Jacob aussi. L’auteur est fin et drôle, intelligent. L’homme est modeste. Son livre est bon. Lisez-le comme un journal intime de notre époque, qui scrute ceux qui font l’actualité. Sont réunies dedans les plus mordantes de ses chroniques, les plus drôles aussi, lisez-les dans le désordre un peu le soir, un peu dans le train, un peu le jour où vous avalez tout seul un sandwich à midi. Moment férocement drôle garanti.
La Guerre Littéraire, Didier Jacob, éditions Héloïse d’Ormesson, 18 e
Extrait de l’avant-propos par l’auteur:
(..) « La Guerre littéraire n’est ni un réquisitoire ni un manifeste. C’est la description minutieuse, scrupuleuse, de la vie quotidienne dans cet étrange pays de Saint-Germain-des-Prés où l’on vit au rythme des prix et des élections à l’Académie, des rentrées littéraires et des meilleures ventes en librairie. Depuis que j’ai commencé,il y a quatre ans, à tenir le rôle d’empêcheur de scribouiller en rond, rien n’a changé : la pièce est la même (aurai-je le Goncourt cette année ?), et les acteurs jouent, en somme, éternellement le même navet.
Et puis enfin ceci : les élites françaises, chacun en conviendra, ne sont pas au plus brillant de leur éclat. Est-ce la fin d’une époque ? Il nous faudrait un Saint-Simon pour relater tout cela et, en sortant, être le dernier à fermer la lumière. Je n’ai pas ce talent, moi qui ne fais que me taper sur les cuisses depuis mon trou de souris. Du moins le spectacle en vaut-il la peine ! Oui, l’animal rigolard qui consigne, dans cette manière de roman comique, toute la poussière de Pompéi leur tombant sur la tête, les derniers jours, peut-être, de nos princes écrivains, journalistes, philosophes et poètes – ce Ratatouille journaliste, c’est moi. »
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