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J'ai passé le 15 août à Pornic. Sur la belle plage qui s'étend au pied du château, avec un vagabond merveilleux, Panaït Istrati. Enfoui en France dans les limbes des écrivains aux livres introuvables, Istrati reste une figure célèbre des lettres françaises (et roumaines!) de l'entre deux guerres (la génération d'avant Cioran, Ionesco, Mircea Eliade..). J'ai relu, cachée du vent, Kyra Kyralina. Je ne sais pas si je devrais vous parler de l’œuvre ou de la vie, tant la frontière entre les deux reste mince. La vie de Panaït Istrati fut elle-même un roman:
Né en 1884 à Braïla - port du Danube où se mêlaient toutes les races des pays balkaniques- ,en Roumanie, d’une mère blanchisseuse et d’un père grec marchand et contrebandier tué par les douaniers quelques mois après sa naissance, il vit une jeunesse sordide et dangereuse, miséreux vagabond de génie, avant de connaître, comme dans un conte de fées, la gloire, d'abord en France.
Rédigé à 10:16 dans Les Roumains dans la littérature française | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Je vous ai déja dit ici que j'aime Gabriela Adamesteanu, un des meilleurs auteurs roumains d'aujourd'hui. Je dirais bien le meilleur, mais j'ai peur d'offusquer deux ou trois messieurs. Ce qui me frappe le plus quand je la rencontre, c'est son incroyable modestie. Ce grand ecrivain traduit en plusieurs langues( en francais chez Gallimard) vous invite à dejeuner dans sa cuisine sans chichis, des plats qu'elle prépare elle-même. Et vous parle, avec des yeux étonnés, de son livre qui se vend en France alors que son nom est totalement ignoré des Francais. J'ai ramené de ce dejeuner à Bucarest le souvenir des gâteaux grecs dégoulinant de miel et la génèse de son livre ("Une matinee perdue", chez Gallimard, 26,50 e). Voici son histoire que Gabriela m'a confiée il y a deux jours:
"-J’avais trente-trois ans et je vivais au pays de Big Brotherescu lorsque j’ai écrit les premières pages de ce qui allait devenir un roman — Une matinée perdue. J’étais attirée par le pittoresque du langage et du comportement d’une parente à laquelle j’étais très liée. Ce que je voulais faire, à l’origine, c’était un instantané, un croquis. Ce texte, publié dans une revue littéraire, ma parente l’a lu et elle a ri : peut-être ne s’est-elle pas reconnue dans le personnage littéraire, peut-être l’a-t-elle tout simplement accepté. Parce qu’elle m’aimait? Parce qu’elle n’attachait guère de prix à la littérature? (...) Le temps émousse les remords, et Vica, mon personnage d’Une matinée perdue — qui figure désormais dans les livres de classe —, a éclipsé en grande partie l’image de ma parente. Mais un mélange confus de nostalgie et de chagrin s’empare de moi quand me reviennent à l’esprit des souvenirs d’elle « non utilisés » dans mon roman. Pour cicatriser les blessures de la mémoire, la littérature doit les réduire en cendres; l’écrivain a beaucoup moins de vrais souvenirs que les gens qui ne les ont pas consumés dans l’écriture.
Les premières pages de mon instantané une fois écrites, je me suis arrêtée : mon personnage n’avait pas de destin et je ne savais plus quoi en faire. J’y suis revenue au bout de deux ans environ, décidée à écrire une nouvelle sur la vieillesse, la pauvreté et la mort. J’avais franchi entre-temps la frontière de ce que j’appelle « la jeunesse éternelle », ce stade de l’existence à l’issue duquel chacun découvre à quel point la vie est scandaleusement brève, le quotidien nous réservant de surprenantes séquences de film d’épouvante. Le destin de mon personnage (une femme du troisième âge, ex-patronne d’un petit bistrot, devenue, sous le communisme, couturière à la journée) m’effrayait dès lors que je le connaissais. J’avais l’impression de m’approcher du seuil dangereux de la littérature, cette zone où l’on côtoie des états susceptibles de nous déstabiliser. Ou peut-être n’était-ce que la peur d’affronter les moments où la vie se révèle dans son insupportable cruauté.
A l’époque, pourtant, la fin de ma nouvelle était encore loin et mon personnage, Vica Delca, que les critiques roumains allaient qualifier généreusement de « Léopold Bloom » en jupons, déambulait dans le Bucarest déprimant des années 80. Paradoxalement, j’écrivais cependant avec un immense plaisir. Plaisir certainement dû à la vitalité de mon personnage, à son langage si fortement coloré, que je continuais à entendre au cours de mes longs trajets dans des autobus déglingués, archibondés de passagers exaspérés.
(...). Je me documentais à grand-peine : dans la société communiste roumaine, l’Histoire, discipline idéologique, était devenue un véritable palimpseste où les événements étaient sans cesse refalsifiés en fonction des changements politiques. Dans les années 50, quand se succédaient les grandes vagues d’arrestations, beaucoup de gens avaient fait disparaître de leurs bibliothèques les livres et journaux d’avant-guerre, qui auraient pu constituer autant de preuves d’hostilité envers le nouveau régime. On ne pouvait les consulter, à la bibliothèque de l’Académie* , que sur autorisation spéciale, à des heures spéciales. Or j’avais un emploi, j’étais mère de famille et, de plus, je ne savais pas exactement ce que je cherchais.
Le passé vulnérable
L’histoire d’un livre est une histoire de rencontres — avec des gens, mais aussi avec d’autres livres. (...) Ma nouvelle se transformait en deux romans entrecroisés. L’un, celui de mon présent, c’est-à-dire les années 80, avait des personnages âgés, appartenant à des classes sociales différentes, mais que le communisme avait rapprochés, sans pour autant éliminer les ressentiments. L’autre, « roman rétro » situé un demi-siècle auparavant, avait des personnages jeunes en proie, au cours d’un été, aux affres de l’amour et de la guerre.
Un livre commence à s’écrire quand on en saisit le ton. Celui du « roman rétro » m’a coûté une année de travail inutile. J’écrivais consciencieusement, je relisais et tout passait au panier. Et puis, un beau jour, j’ai attrapé « le ton rétro ». Dès lors, j’ai orchestré la langue début de siècle en fonction de chaque personnage, selon son âge, son éducation, etc. avec une minutie dont je ne serai plus jamais capable.
On dit à présent que j’ai l’une des plus fines « oreilles » de la littérature roumaine, mais moi je sais que cela fut une expérience circonscrite, parce qu’un auteur change d’un livre à l’autre et parce que je ne m’intéresse plus à la différenciation stylistique des personnages. L’acuité de mon oreille était sans doute due aussi à l’isolement : je vivais dans un pays fermé d’où je n’étais jamais sortie, je me tenais à l’écart de la vie littéraire et je n’envisageais pas plus la traduction de mes livres qu’un voyage sur Mars. Après la chute du communisme, je m’étais résignée à croire ce qu’on me disait — j’avais écrit un livre intraduisible —, jusqu’au jour où j’ai appris qu’il allait être édité en France.
(...) Je sais en tout cas que, pendant les cinq années qu’a duré l’écriture de ce livre, j’ai été heureuse. Je vivais dans deux mondes parallèles : le monde quotidien, de plus en plus oppressant, et un monde révolu qui se rapprochait de moi, qui se révélait dans les vieilles maisons de Bucarest menacées de démolition.
J’étais sous le choc : je découvrais une histoire inconnue mais j’assistais, impuissante, à sa destruction quotidienne. Ceausescu abattait des quartiers entiers du vieux Bucarest afin de bâtir à la place ses constructions mégalomaniaques. La démolition d’une maison condamnée, vidée de ses occupants, dépouillée ensuite de sa charpente et de son huisserie, pour être enfin broyée sous les bulldozers, cela évoquait les longs supplices médiévaux en place publique. J’avais choisi l’une de ces maisons, devant laquelle je passais chaque jour, pour y situer l’action de mon roman, et je suivais le cœur serré la progression des démolisseurs aux deux bouts de la rue. Les événements de décembre 89, qui l’ont sauvée, m’ont projetée, pour une dizaine d’années, de la littérature dans le journalisme.
C’est alors seulement que s’est achevée pour moi l’histoire de ce livre."
Traduit du roumain par
Marie-France Ionesco
(non, le nom n'est pas seulement une coincidence...) Lire le texte complet
Rédigé à 10:09 dans Les Roumains dans la littérature française | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
J'ai découvert, juste avant ma longue fuite en Roumanie, un livre qui m'a bouleversée - chose qui m'arrive de moins en moins. Et pas du tout avec les livres de la "nouvelle" génération:
Le Mur des lamentations, de David Abiker, invité de notre premier café littéraire.
David Abiker est cadre sup’. Chroniqueur pour Arrêt sur images (.net aujourd'hui) et France Info. Après Le musée de l’homme publié en 2005, Le mur des lamentations est le deuxième volet d’une trilogie burlesque sur notre époque.
L'explication de son essai par l'auteur, il le fait dix fois mieux que moi:
- Quand/comment avez-vous eu l'idée d'écrire Le mur des lamentations?
L’idée du livre est venue naturellement, à la fin du Musée de l’homme. Le projet d’un essai comique sur la victimisation s’est imposé à force de regarder la télévision. J’y voyais la mise en scène de toute la misère du monde non pas dans l’objectif d’informer mais plutôt dans celui de compatir, de plaindre, de commémorer, de se recueillir. Au départ, je voulais écrire une pièce de théâtre. Elle se serait déroulée dans une loge de maquillage avant un talk show genre Fogiel ou Ardisson. Une dizaine de victimes type, de la femme battue au président de société mis en examen en passant par le chanteur déchu. Ils auraient échangé devant le miroir, en professionnels de la victimisation et de la lamentation. Mais finalement, je suis tombé malade et j’ai décidé d’utiliser ce point de départ pour raconter l’histoire d’un cancéreux qui décide de se servir de sa maladie pour acquérir une reconnaissance médiatique. Ces cancéreux, décidément, on ne peut pas les tenir ! Le Mur des lamentations est autant un essai sur la manière dont nous gérons la maladie individuelle qu’une réflexion sur la façon dont la société médiatique utilise la souffrance pour faire de l’audimat.
- Qui est Maouh?
Maouh c’est le héros créé pour le Musée de l’homme et qui a repris du service, comme 007, dans le Mur des lamentations. Je lui ai collé une tumeur là où je pense et je le regarde s’en dépatouiller avec une certaine tendresse. L’idée était de voir comment une victime qui mériterait la compassion peut nous conduire sur des chemins dangereux en réclamant de façon artificielle et narcissique une reconnaissance indue. Qu’on aime nos victimes c’est une chose, qu’on les laisse prendre le contrôle de la société en alimentant le pouvoir de l’émotion médiatique c’en est une autre. C’est ce que Maouh va apprendre au travers d’un parcours initiatique et médiatique qui le conduit à prendre conscience du monde qui l’entoure. Cette prise de conscience est d’ailleurs hâtée par sa rencontre avec Guilem, un jeune altermondialiste cul-de-jatte. Un cul-de-jatte qui ne se plaint jamais. L’anti-Maouh, en quelque sorte. Maouh, enfin, est un homme qui vit entouré de femmes, qui se repose un peu sur elles et qui a un besoin boulimique de leur amour. C’est ce qui le rend sympathique. Il aime et il aime être aimé. Ce n’est pas une excuse mais ce n’est pas non plus un crime.
- Quel est votre plus beau souvenir lié au Mur?
Un livre, quand on a la chance de l’écrire, de le terminer et de le publier, c’est une série de bons souvenirs. Il y a d’abord la trouvaille, le sujet qu’on va dérouler. Ensuite, il y a les fous rires solitaires, quand j’ai écrit certains passages. Il y a aussi l’émotion, quand je fais revivre ma grand-mère pied noire, juive marocaine, Mamie Zazou. Il y a aussi la complicité avec Gilles mon éditeur, qui est devenu un ami très proche. Ensuite, il y a le titre qu’il a trouvé et qui est une merveille. Je trouve formidable d’avoir publié un livre avec un titre pareil. Franchement, je m’envie… Ensuite il y a les lecteurs. C’est autre chose. Mais un lecteur qui vous dit qu’il a ri tout seul dans le métro, c’est bien. Un prof de philo qui vous dit qu’il l’a recommandé à ses élèves, c’est encourageant. Et puis bien sûr, parfois vous êtes interviewé par des journalistes qui ont eu le temps de lire le livre. Dans ces cas exceptionnels, le plaisir l’est tout autant. Cultivé, spécialiste ou ignare, chaque lecteur compte. Pour le Mur des lamentations, je suis également intéressé par l’avis des médecins qui aiment, généralement. Et des malades, aussi. Un de mes amis a fait lire le livre à son père qui avait un cancer en phase terminale. Il paraît qu’il riait, malgré tout, ça m’a ému et réjoui en même temps. J’oubliais, les salons où l’on rencontre des lecteurs. C’est toujours plaisant. Finalement, un livre, ce n’est que des bons souvenirs ! Ce qui est important pour moi, en tout cas, c’est d’éviter l’autofiction si on a rien d’autre à dire. Mes livres me racontent, mais ils ont un propos sur l’époque et les travers que je lui trouve. Il y a dedans des convictions auxquelles je tiens beaucoup.
Le Mur des lamentations - Tous victimes et fiers de l'être !, éditions Michalon, 15 euro
Rédigé à 22:07 dans Parfois, je tombe sur un livre. Et vice versa. | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Trop de classiques à dévorer encore avant de m’aventurer sur les chemins d’un jeune auteur, aussi talentueux fut-il ( "le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens" disait, je crois, Joubert. Je fais mon intéressante, ce n'est pas vrai, mais Amélie Nothomb, je n'ai jamais acheté, je ne sais même pas trop pourquoi). Je n'ai donc rien lu. Jusqu'à aujourd'hui. Une revue pour filles m'a envoyé son dernier livre pour écrire un avis des lectrices. "10 lignes maximum!", sonne la voix autoritaire au bout du fil. Au terme d'une nuit d'insomnie (à peine 250 pages), voici donc la chronique en 9 lignes d’une Roumaine au pays d’Amèlie Nothomb :
Ni d'Eve ni d'Adam. Amèlie a 21 ans. Jeune étudiante pédante dans le Pays du Soleil Levant. Rinri a 20 ans. Jeune Tokoïote bizarre et délicat qui veut approfondir son français. En trois leçons, il tombe éperdument amoureux de sa professeur. Elle a du « goût « pour lui et joue au cache-cahe amoureux avec la légèreté originelle.. Va jusqu’à accepter la demande en mariage de son maigre Japonais par « malentendu linguistique ». Avant de s’enfouir…
Entre égocentrisme et découvertes, et malgré quelques très belles descriptions (comme celle de la peur lors d’une aventure solitaire et dangereuse en montagne), le livre se traîne jusqu’aux derniers chapitres où il devient –il était temps !- passionnant. Bon ou ennuyeux ce « Ni d'Eve ni d'Adam » ? Un livre bien écrit. . Ses personnages ont de la chair , le jeune Riri, si détaché de la réalité, est vraiment attachant, j’aime parfois l’humour subtil de l’auteur, ses dialogues aussi – réussis- mais le personnage d’Amélie m’agace Bref, un livre ne me donne pas envie d’aller au Japon. Ni de retourner au pays d’Amelie Nothomb.
Rédigé à 22:01 dans Parfois, je tombe sur un livre. Et vice versa. | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Ha ! Je vous vois déjà ricaner: elle va nous parler du livre mievreux de Valentine Goby... Euh... oui.
Et je m’en fous si c’est un bon auteur ou pas, moi j’ai aimé. Je vais vous dire pourquoi :
Peut-être d’abord parce que ce livre a été une belle surprise. Je n’avais pas envie de le lire. On m’a filé quatre bouquins sélectionnés pour un prix régional. C’était la première fois que je lisais des livres que je n’avais pas choisis. C’est vrai, quand on les achète nous même, c’est parce que nous avons hâte de les ouvrir, bien au chaud, le soir. Mais là...
Le premier, l’histoire d’une solitude en bord de mer. Fanny Brucker, "Far Ouest", premier roman. Bof. Le second, l’histoire d’une poignée de secondes qui va durer une vie. Pierre Louis Basse, « 19 secondes et 83 centièmes », joli message, mais style trop journalistique. Le troisième, très bien écrit, Sorj Chalandon, « Mon traître », une histoire irlandaise qui parle d’amitié, de solidarité et de leur fragilité si humaine (sur fond de guerre en Irlande du Nord).
Et puis le quatrième, nous étions déjà dimanche soir, une histoire de femmes tondues à la Libération qui ne me disait vraiment rien. On a tellement écrit sur le sujet !... En plus c’était le week-end où j’avais déclaré, ici même, que « Je ne faisais rien ! ». J’ai envoyé un mail, deux, quelques cigognes à des amis, j’ai lu vos blogs et… j’ai enfin ouvert « L’échappée » à 23 heures.
C’est l’histoire d’une bonne bretonne et d’un officier nazi.
Non, c’est l’histoire d’amour d’une jeune fille simple et d’un pianiste soldat. Je l’ai lu dans la nuit. Et je me suis pris de plein fouet toute la tension de ce livre. ***
Elle a seize ans et travaille à Rennes dans un hôtel réquisitionné par les Allemands. Il s’appelle Joseph Schimmer, pianiste célèbre. L'officier pianiste lui demande de tourner les pages des partitions pendant ses répétitions. Madelaine succombe à la musique, et à l’homme. Leur histoire se passera à l’abri des regards, et du soleil, dans des chambres sombres et dans le théâtre où il joue. Et finira comme souvent en 1941 : il a une arthrose qui l’empêche de jouer, il est envoyé sur le front de l’Est et sera fusillé pour trahison (il s’était tiré une balle dans la main ; pour échapper au front ? ou dans cette main qui avait trahi le grand pianiste ?).
Pour Madelaine le manque, atroce, l’accouchement dans un couvent, l’humiliation sur la place publique, une pancarte accrochée au cou « fille de rien ». On lui crie au visage qu’elle devrait rendre l’argent qu’elle a eu sur le dos des français. Elle cligne des yeux : « L’argent ? La nourriture ? Est-ce que je dois rendre Liszt ? Satie ? Mozart ? L’effroyable solitude des trois dernières années ? Est-ce que je dois rendre Anna ? » (…)
« Nous marchons, suivies par la foule, têtes rasées parmi les décombres de l'avenue Janvier, de la rue Saint-Hélier dévastée, criblée de béances et d'immeubles en ruine, pendant des semaines c'étaient des gravats enchevêtrés de poutres, de meubles brisés, chambres, cuisines, salles à manger réduites en poussière, éclats de verre, j'imagine que c'était comme ça, tout est déblayé et vide maintenant, je trébuche sur des souvenirs que je n'ai pas, les bombardements ont eu lieu sans moi, j'étais terrée dans un couvent mais je sais tout, ils m'ont fait ce que la guerre leur a fait. »
Les pages de ce chapitre sont les plus belles du livre, je crois. Allez, un dernier paragraphe :
« Ils nous promènent au bout d’une corde. L’air tremble sous la chaleur. (…) Je plisse les yeux, le monde est un mirage, je suis à l’intérieur de moi. Pourvu qu’Anna n’ait pas idée de la laideur de sa mère, mon ange blond, il y a des jours où je déteste être ta mère, sans toi j’aurais fichu le camp depuis longtemps, ou bien je me serais noyée, mais tu existes et ça n’aura pas de fin, le bonheur que j’espère de toi, et la souffrance que tu m’infliges »
Suivent des années d’errance. Le souvenir de Joseph, la honte, les secrets. Seule avec sa fille, Anna, elle s’invente un passé. Mais la vérité les rattrape à chaque fois. Cette enfant trop blonde attire les sourires narquois. Et les insultes. Elles déménagent, tous les ans. Des cauchemars terribles (l’araignée, tatouée sur la poitrine de sa mère à la Libération) peuplent l’enfance d’Anna. Et son adolescence de fille de « la putain du Bosch ». A la différence de sa mère, elle l’assume, l’annonce, courageuse, dans chaque nouvelle école. On s’attache à cette adolescente sauvage.
L’auteur nous propose trois fins, que je ne vous raconterai pas. Je n’ai aimé aucune des trois. Mais j’ai aimé l’image finale, la chute du mur de Berlin. Anna est en Allemagne, elle sortira dans la rue , avec les Berlinois. Comme eux, elle voudra toucher le Mur, en griffer la matière, « en emporter des pans tagués dans ses poches. Elle verra déferler la foule des Allemands de l’Est, reconnaissables à leurs vestes, leurs cheveux mal coupés, leurs sanglots impossibles à endiguer, elle regardera cet homme en manteau noir, à côté d’elle filmé de trop prés par une camera de télévision, ses larmes coulent sans discontinuer, et son nez, il n’en a rien à faire, il est dans l’Histoire et l’histoire est belle pour une fois, ça suffira pour reprendre espoir (…) ».
Je préfère finir sur cette image.
Lisez le livre pour connaître le reste.
L'Echappée - Valentine Goby,
Gallimard, 230 pages, 16,90 euros
Rédigé à 21:59 dans Parfois, je tombe sur un livre. Et vice versa. | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
José, c’est un petit garçon de 9 ans, une sorte de petit prince d'aujourd'hui, seul lui aussi devant l’absurdité de notre monde d’adultes. Sa planète imaginaire est sa chambre où les objets portent des noms : son lit s’appelle « voyage », le bougeoir est « colonel », le bureau "chêne", le plafond devient « nuage »… Ce sont ses amis avec lesquels il discute pendant des heures. Avec une infinie pudeur l’auteur explore l’imaginaire de cet enfant qui n’a jamais connu son père, qui s’enferme dans sa chambre pour ne plus voir sa mère regarder la télé. Nous le regardons, impuissants, se murer dans son monde, nous regardons sa mère qui essaye de l’en sortir ; elle l’amène chez le médecin, lui écrit une lettre poignante sur sa solitude à elle, sa douleur face aux silences de son fils... Pas de réponse de son étrange petit bonhomme .
Hélène, sa mère, est licenciée. Elle ne sort plus que pour faire les courses ou pour amener son fils chez la pédospy. Le reste de son temps, elle le passe devant la télévision, « compagne fidèle où il se passe toujours quelque chose » Elle commence à boire. Et ils s’enfoncent encore plus, chacun dans son monde, chacun incompris de l’autre. Jusqu’à la mort de la mère. José sort un peu de sa chambre pour penser à elle :
« Est-ce que ses mains tremblent encore sous la terre ? Est-ce qu’elle a froid ? Est-ce qu’elle a les yeux ouverts ? Et si elle a les yeux ouverts, est-ce qu’elle regarde encore la télé le soir ? Mais non, ce n’est pas possible, il n’y a pas de télé dans la terre (…) La mort. Maman, c’est quoi la mort, c’est quoi ? ».
Et puis José ne parle plus. Il reste dans son lit. Il ne mange plus. Une longue thérapie commence. Il fait peine à voir dans son pyjama bleu ciel devenu trop grand. « Ses petits mains posées sur le ventre il ressemble à une poupée que l’on aurait délaissée trop longtemps ».
On a peur pour lui. Peur qu’il se perde dans son monde où les adultes ne savent pas pénétrer. Je ne vous raconte pas la fin, qui n’est pas celle que vous croyez…
Poétique, poignant, ce « José » m’a émue aux larmes.
Ah, j'oubliais... Il n'y a pas que moi qui suis amoureuse de "José":
« José » de Richard Andrieux,
Prix du 1er roman de la Forêt des Livres,
117 pages, 15 euros, éditions Héloise d’Ormesson
Photo: La Forêt des Livres, Richard Andrieux au milieu avec Gonzague Saint-Bris et Jean-Marie Rouart .
Rédigé à 21:51 dans Parfois, je tombe sur un livre. Et vice versa. | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
J’ai fini le « Tarmac des hirondelles » de Georges Yémy à Pitesti après l’avoir commencé à Montaigu, transporté sans l’ouvrir à Saint Louis, lu en bonne partie à Nucsoara dans mon verger. C’est fou de lire l’histoire de Muna à l’ombre d’un pommier en fleurs !
Je l’ai fini. Il faut vraiment le vouloir pour dépasser les 60 premieres pages. Il y a des passages qui donnent presque la nausée dans le parcours de Muna, l’enfant soldat de quelque pays d’Afrique. Son contingent exterminé, Muna Nussadi "l'enfant ephemere dans l'essaim de papillons à mourir ce soir", erre solitaire dans la forêt, hanté par les souvenirs hallucinés de ses crimes, de ses parents, de Kenny, onze ans, mort au combat. Le livre de Georges Yemy est très bien écrit, dans une langue parfois poetique, souvent cruelle, boulversante. Sensuelle. C’est un livre qui vous prend aux tripes. Et le mot n’est pas trop fort ! Mais il faut le lire. Pour se rappeler que l’âme humaine est faite aussi d’abjection. J’ai longtemps hesité à lire des livres sur les horreurs perpretées dans les prisons communistes. Trop peur de souffrir, d’avoir la nausée face à la suie qui tapisse le fond de notre âme, justement. Quel frêle chemin separe la victime du bourreau ? C’est toute la question du phenomene de réeducation par la torture dans les prisons de Pitesti, en Roumanie, systeme qui transformait les prisoniers politiques en atroces bourreaux, à leur tour capables des pires horreurs. Rien à voir averc les guerres en Afrique, bien sur! Mais j'ai fini le livre à Pitesti. Alors, forcement, j'ai fait le raprochement.... Quel est le chemin qui sépare ces enfants africains de 12 ans qui tuent et violent du Sergent qui les bourre de Pilules de la liberté ? Est-ce seulement la drogue qui declanche en eux ces acces de barbarie ? Peut-être pas…
Je crois qu’il faut lire ce Tarmac des hirondelles. Il vous surprendra. Parfois il vous choquera. Mais ils vous embarquera. Dans le monde mi-réel, mi-mystique de cet enfant victime et bourreau. Vous aimerez la poesie de ce livre. Le premier pouvoir de la poesie est d'exprimer l'indicible, n'est-ce pas? Georges Yemy y arrive.
Il y a autre chose qui nous fait aussi avancer avec espoir dans son Tarmac des hirondelles : c’est la lumière. « Rose croit ». Tout n’est pas perdu. Et dans les pires de nous, pauvres faibles humains, il y a de la lumière. Voilà ce que m’a appris le livre de Georges.
J'en parlais aussi ici quand j'ai acheté le livre. La photo de notre rencontre au PdL est là.
L’auteur : Né en 1975 au Cameroun, Georges Yémy est arrivé en France à l’âge de dix ans. Ses trois premiers romans, tous situés en France, La Lune dans l’âme (1997), Suburban Blues (2005) et L’Inévitable Histoire de chacun (2006), ont rencontré un vif succès critique.
Tarmac des hirondelles marque un retour aux sources africaines.
Extrait :
Nous avions entre huit et douze ans. Nous étions des hommes désormais. Avec des bites, des captives et des fusils chargés à rouge. On nous avait enrôlés dans l’armée. Ou le maquis. C’est toujours un peu flou dans ma tête, ces choses-là. Peut-être même n’en ai-je vu certaines qu’en délire. Mais c’est une part non négligeable de cette réalité-là. Il fallait libérer le Liberia. Non. Cela se passait soit au Burundi soit en Somalie.
Je ne suis plus qu’un être cassé, aujourd’hui ; j’ai mes défaillances. Cependant je crois, si je ne m’abuse, que c’était en République démocratique du Congo. Ou au Soudan, peut-être bien. N’importe ! Je m’en souviendrai avec certitude un peu plus tard (...)
C’était hier ou ce matin, c’est maintenant. Ils sont encore plus de trois cent mille enfants soldats combattant des Frères Traîtres à travers le monde.
Ces frères-là nous accusaient eux aussi de trahison. De traîtrise. Alors il nous fallait vaincre à tout prix, car les perdants eussent nécessairement été les traîtres dans toute cette histoire. En considérant bien les choses, une fois passé le traumatisme de l’incorporation, je n’étais pas mécontent d’être là. J’étais du côté de ceux qu’on redoutait et pas l’inverse. J’avais une arme de guerre et je n’étais pas seul au milieu des civils, à voler pour manger, courant le risque de me faire découper à la machette si je me faisais prendre. Et puis, malgré les railleries dues à mon apparence, j’étais presque flatté d’avoir été choisi parmi les autres garçons de mon âge, moi, un albinos, un ngengeru, quelqu’un d’inaccompli et de malsain aux yeux d’un grand nombre. D’avoir été recruté signifiait que j’étais comme tout le monde, normal malgré ma différence. Mieux valait être dans une troupe et attendre sa balle que de mourir tout de suite dans le chaos qui s’annonçait
parmi les populations alentour.
Nous ne vivions plus que dans les forêts environnantes. Nous nous cachions tout le temps. Nous eûmes très peu de temps pour apprendre à tuer. Formation plus que sommaire, rudimentaire, quelques semaines dans un camp en forêt, mais nous savions tenir nos armes et les pointer sans hésitation. Nous savions faire feu et foudroyer. Mon faon, avait dit le Sergent, tu tombes du vagin, et dès le contact avec le sol, lève-toi
et tire ! Sinon par lion croqué te voilà ! avais-je pensé, me rappelant un vague proverbe de chez moi. Il nous fallait donc être des lions. La prédation en mouvement. Le Sergent, un homme de l’âge de nos pères, nous distribuait les Pilules de la liberté. Il les appelait des vitamines ou, plus simplement, les cachets. Jamais autrement. Made in USA, d’après lui, mais ça sentait peut-être le Nigérian. Liberty Pills. Nous les nommions
ainsi car, dès que nous les avions avalées, nous rentrions dans un tel état de conscience altérée que nos ennemies, frères ou pas, nous apparaissaient soudain comme de la volaille. De gros et vulgaires poulets ridiculement menaçant de leurs becs nus. Et se déplaçant çà et là en un désordre tordant. Nous nous contentions de tirer dans tout ce grouillement. Cependant, il n’était pas rare que l’un de nous s’écroulât.
Un grand trou de bec dans le front. Ou dans la poitrine. Mais cela ne nous ôtait ni le rire ni l’exaltation du massacre. Ce qui pulsait en nous n’était plus un coeur mais un organe nouveau charriant un nouveau liquide de vie. Nos veines contenaient plus qu’un simple sang craintif et scrupuleux, gangrené par la morale, humain jusque dans sa force, d’où sa faiblesse ambiante et si handicapante. Tombaient nos chaînes et sautaient les verrous de la société. S’ôtait le voile de nos yeux. Du feu liquide coulait dans nos artères et nous menait au combat. Nous étions libres, croyions-nous. Parfois, le Sergent donnait à chacun de nous deux pilules plutôt qu’une. Alors nous devenions une meute de loups enragés et bavant. Hurlant à la mort. Nous devenions tout simplement fous. Après les combats gagnés sous cette aliénation, il arrivait fréquemment
que l’un de nous se mît à prélever sur les cadavres quelques morceaux affectionnés. Au couteau vif. Les autres l’imitaient alors, curieux de redécouvrir le goût de la chair crue et humaine. Ils avaient fait de nous des bêtes. Mais c’était notre seule excuse, avec l’âge que nous avions en moins. De la langue coupée le goût sous la langue. Quel écoeurement! Goûter, crue, de la langue coupée et humaine. Collier d’oreilles coupées autour du cou. Jusqu’à ce qu’elles sèchent ou se décomposent tout à fait, composent de la pourriture. Mouches affreuses. Quelle sanie ! Transgresser était notre récompense en attendant le nouvel ordre. Le nôtre. Pour nous calmer et nous sortir de cette terrible agitation, le Sergent nous faisait fumer de l’herbe. Alors il sortait son ghetto blaster, et du reggae pulsait. Ainsi nos corps absorbaient la musique et se mettaient à se mouvoir tout seuls. Nous titubions dans le balancement, nous virevoltions et cabriolions en sautillant, comme imitant l’Oiseau propitiatoire, à qui nous vouions un véritable culte désormais. Et nous oubliions tout dans la brise qui faisait au soir venu, frémir nos cils mouillés comme par pur réflexe. Loin des pleurs conscients et cathartiques. Si vous saviez, mon Capitaine !
page 3 | Georges Yémy, Tarmac des hirondelles, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2008.
Georges Yémy, Tarmac des hirondelles
Roman
© Éditions Héloïse d’Ormesson, 2008 | www.heloisedormesson.com
288 pages | 19 €
Rédigé à 20:31 dans Parfois, je tombe sur un livre. Et vice versa. | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
"Christos a Inviat !" m’a-t-il lancé dans cette rue de Saint Louis où même les immeubles paraissaient connaître son nom. C’était Paques en Roumanie le jour où j’ai rencontré Jean d’Ormesson et il me l’a souhaité en roumain !...
J’ai déjeuné avec lui et ce fut un moment si fort et si riche que je suis incapable d’en parler ici. Je n’ai pas le niveau et je crois même qu’il est impossible de résumer Jean d’Ormesson à un billet de blog.
Notre déjeuner ?
Littérature comparée, cours d’histoire roumaine, souvenirs bucarestois… je me suis même fait manger le dessert par Daniel Picouly toute bouche bée que j’étais devant l’Enchanteur !...
***
Allez, juste deux extraits du menu :
Une anecdote d’abord.
La princesse Marthe Bibesco propose au père de Jean d’Ormesson, ambassadeur en Roumanie, de participer à une conférence « L’amitié et l’amour ».
- De quoi allons nous parler ? se renseigne l’Ambassadeur
- Vous parlerez d’amitié comme Cicero, je parlerai d’amour comme tout le monde, lui répond la princesse roumaine.
***
Et deux mots (fort intéressants) sur Cioran que Jean d’Ormesson a bien connu. Explication de son œuvre (de son désespoir) en trois raisons :
1. La première serait littéraire : le refus de cette vie que nous n’avons pas réclamée et qui reste a jamais une énigme est le plus classique des exercices de style. « Cioran était très certainement d’un tempérament mélancolique. Le monde lui était une douleur. Il en a rajouté en lisant les classiques et surtout les moralistes de la fin du XVIIIème ».
2. La seconde médicale : il était insomniaque. « Et à trois heures du matin, quand vous ne dormez pas, le monde est sombre ».
3. La troisième interprétation relève de la politique : Cioran a été dans sa jeunesse assez proche du nihilisme d’extrême droite. L’effondrement des choses auxquelles il croyait adolescent a pu accentuer chez lui le sentiment d’une universelle vanité, de la faillite de la Providence et de la chute inéluctable de toute construction historique (« L’Histoire ? Une chance offerte aux hommes de se discréditer à tour de rôle »).
Allez, une petite anecdote sur le grand pessimiste roumain pour finir :
-C’est catastrophique pour vous qui trouvez que tout va mal, maintenant vous êtes célèbre et vous êtes riche, lui a dit un jour Jean d'Ormesson.
-Heureusement j’ai un ulcère à l’estomac, a répondu Cioran.
*******
Dans ses yeux se reflétaient les miens/ et les miens dans les siens semblaient beaux...
(non, je ne me prends pas pour Hortense Allart je voulais dire par cette légende que toute fascinée que j’étais à l’écouter j’ai même oublié de penser que j’étais idiote. C’est sans doute un autre de ses arts : faire croire à son interlocuteur qu’il écoute avec intérêt ce que le dit interlocuteur lui dit…)
Photo volée avec un portable par un paparazzi fort talentueux.
Rédigé à 20:29 dans Un verre avec ... | Lien permanent | Commentaires (1) | TrackBack (0)
Ce jour là, j'avais eu le mauvais goût de faire un leger malaise juste avant le plateau (fatigue de fin de saison sans doute..). Du coup, ils étaient tous stressés que je remette ça en direct. Ils sont un peu coincés... Mais finalement tout s'est bien passé. Selection de quatre livres à lire sur la plage, dans la troisième partie de la Grande Emission:
Rédigé à 20:13 dans Mes Chroniques | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Rédigé à 15:52 dans Mes Agendas Culturels | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Ancienne journaliste à TVR 1 (la chaine publique roumaine), Ouest France, ex attachée de presse du Conseil Général de la Vendée, présidente de l'association Activaussi...
...chroniqueuse pour TV Vendée, correspondante en France de la revue littéraire Arges.
J'aime: la neige dans mes Carpates de Roumanie, l'odeur du poele à bois dans la cuisine, Chateaubriand car j'aime les enchanteurs, mais aussi les huitres, le champagne, le chocolat.
Je n'aime pas: les idealistes extrêmistes (y a-t-il d'idéal dans la barbarie?), la mediocrité, les hommes qui se tartinent de crème...
... et je vous aime vous, qui visitez mon blog!
Rédigé à 15:14 dans CV ? | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack (0)
Rédigé à 11:47 dans Mes Agendas Culturels | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
Il y en a tellement à dire... Et ce blog n'existe que depuis aujourd'hui. Quelques photos dans les albums, et un texte à venir bientôt.
Rédigé à 11:21 dans Mes Cafés littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)
De la Roumanie on ne connaît plus aujourd'hui que les enfants des rues et la mort en direct des Ceausescu. Que ces immeubles gris qui ont remplacé des bijoux d'architecture. Mais avant l'arrivée de la peste rouge chez nous, La Roumanie était le pays de l'effervescence culturelle, et Bucarest - "le petit Paris"- le rendez-vous de grands intellectuels européens. Mais du Bucarest de l'entre deux guerres je vous parlerai une autre fois. Ce matin, entre ma petite dernière, les courses et le déjeuner j'ai une petite demi heure pour vous parler de quelques écrivains d'origine roumaine qui ont amené chez vous un peu de notre pays. Ou non, je vais faire ma fière et laisser d’Ormesson parler pour moi de l’allégresse et du désespoir roumain:
« Nous devons beaucoup aux Roumains. Ils ne nous ont pas seulement fourni avec generosité en actrices ou en sculpteurs : un Brancusi, une Elvire Popesco, à l’accent inoubliable dans les chefs d’œuvre de Robert de Flers et d’Arman de Caillavet (…). Ils nous ont donné aussi quelques-uns des meilleurs artisans de notre langue qu’ils connaissaient mieux que nous et qu’ils aimaient autant que nous : Mme de Noailles, née Brancovan; tous les Bibesco, si chers à Marcel Proust; dans un genre assez différent, Tristan Tzara, le fondateur de Dada: Panaït Istrati, un romancier de l'aventure, auteur de Kyra Kiralina; et surtout les trois amis qu'on voit ensemble sur des photographies et qui illustrent avec éclat la littérature française d'après la Deuxième Guerre mondiale: Mircea Eliade, romancier, mythologue, historien des religions; Eugène Ionesco, être lunaire et exquis qui bouleverse, avec Beckett, le théâtre contemporain et dont La Cantatrice chauve ou Les Chaises n'ont jamais cessé d'être à l'affiche quelque part pendant un quart de siècle; et puis Cioran, qui s'appelait Cioranescu et dont le prénom, Emile, s'est perdu en cours de route, comme celui d'Ionesco (...)". (extrait de "Une autre histoire de la litterature française", Jean d'Ormesson, Nil éditions, 1998)
S’il y en a un que vous devrez découvrir, choisissez Mircea Eliade, « Le roman de l’adolescent myope » par exemple, les « mémoires » du jeune Eliade dans un Bucarest des arts et des lettres. Ou «La nuit bengali (Maitreyi)» cette magnifique histoire d’amour de son voyage initiatique en Inde. Son œuvre (assez peu connue en France car il a beaucoup vécu aux Etats Unis) est fabuleuse. Mais si vous voulez connaître la Roumanie ne vous aventurez pas sur les chemins du sacre et du profane du professeur des religions à l’Université de Chicago, choisissez plutôt les romans et nouvelles du Bucarest de sa jeunesse.
Et, vite, avant que je file faire mes courses (vive la mère aux 100 métiers !…), deux autres auteurs que vous allez sûrement aimer : Virgil Gheorghiu, sa « 25 ème heure » et ses « Mémoires » de jeune marié fuyant la peste rouge à travers une Europe en feu, et mon amie Gabriela Adamesteanu, journaliste roumaine et figure de l’intelligentsia roumaine post Ceausescu, publiée l’année dernière par Gallimard ( « Une matinée perdue « , la matinée perdue de la Roumanie..).
Là, je dois vraiment filer. Je vous laisse lire deux articles du Figaro et de "Lire" sur Gabriela. Si vous avez des messages à lui faire passer, n'hésitez pas, je servirai de facteur. Bon week end!
«J'avais trente-trois ans et je vivais au pays de Big Brotherescu», se souvient Gabriela Adamesteanu, née en 1942. Refusant de se plier à la norme du réalisme socialiste de son pays, elle a longtemps différé son entrée en littérature, mais celle-ci a été tonitruante : son premier roman est chaudement accueilli en 1975, mais le véritable événement pour la romancière et pour les lettres roumaines est Une matinée perdue, qui devient un livre culte dès sa sortie, en 1985... "
Clémence Boulouque - Le Figaro du 24 novembre 2005
Adamesteanu, la romancière qui lit dans les cœurs
par André Clavel
Lire, novembre 2005
La Roumanie est la terre de Dracula, et ses écrivains furent longtemps vampirisés par l'hydre soviétique. Aujourd'hui, le cauchemar a pris fin mais la littérature roumaine reste une recluse: boudée par l'Occident, condamnée à un étrange embargo, elle est une sorte de belle inconnue que l'on entend à peine murmurer... C'est donc un bonheur de découvrir Gabriela Adamesteanu, publiée pour la première fois en France. Née en 1942, fille d'un pasteur de la plaine danubienne, traductrice de Maupassant et rédactrice en chef d'un hebdomadaire de Bucarest, elle a grandi dans une famille d'intellectuels, à l'époque où les écrivains ne pouvaient s'exprimer que s'ils trempaient leur plume dans l'encre croupie du réalisme socialiste. Gabriela Adamesteanu y était allergique, et elle dut attendre la trentaine pour publier son premier roman, en 1975. Dix ans plus tard, aux heures les plus sombres de la dictature, elle eut le culot de mettre le feu aux poudres avec cette Matinée perdue, remarquablement traduite en français mais avec deux décennies de retard.
La matinée en question, on s'en doute, est un symbole, un bien douloureux symbole: celui de la Roumanie sacrifiée, durant tout un siècle, sur le sanglant autel des guerres puis du communisme. Ces spectres sinistres hantent la romancière, mais elle ne cesse de les embrocher en déchaînant la sarabande d'une écriture truculente, endiablée, célinienne, qui réinvente le parler populaire et le lyrisme de la rue dans un pays où la langue de bois servit de cercueil à l'imagination: si Vica, l'héroïne de Gabriela Adamesteanu, est une femme libre, c'est d'abord parce qu'elle jacte comme Bardamu... A plus de 70 ans, cette éternelle bûcheuse, qui s'est usée «en essuyant les paillassons des autres», a assisté à tous les cataclysmes d'une époque fertile en trahisons, et elle en sait tant sur les humains qu'elle «pourrait ouvrir une école, l'école de la vie». Alors, elle raconte, raconte, et raconte encore. On remonte à son adolescence, lorsqu'elle perdit sa mère et qu'elle dut élever, seule, une ribambelle de frères. Puis vinrent les guerres, le tragique dépeçage de la Roumanie et l'interminable hiver de la dictature. Pour Vica, la Cendrillon égarée au pays des Soviets, il fallut tout simplement survivre, les pieds enchaînés au boulet de la misère.
Mais si cette intarissable râleuse a la langue bien pendue, elle sait aussi écouter les autres et cela nous vaut une noria de portraits magnifiques. Mme Ioaniu, une «dame de la haute» qui fut spoliée par les communistes et qui se ratatine peu à peu dans son appartement de Bucarest, «perchée sur des coussins comme le roi Pétaud». Sa fille Ivona, un feu follet qui ne cesse d'écumer les rues de la ville, «à croire qu'on lui a fourré un piment dans le trou de balle». Son gendre Niki, toujours à courir la gourgandine. Sa sœur Margot, harcelée par les sbires de la Securitate. Et ses deux maris, eux aussi traqués par les cocos. D'un personnage à l'autre, de la Première Guerre mondiale à la période stalinienne, d'un champ de bataille aux cachots où croupissent les prisonniers politiques, c'est l'Histoire en manteau rouge et noir qui défile dans cette «matinée» à tout jamais perdue.
«Je crois que l'humanité retourne à la barbarie», lance Gabriela Adamesteanu qui, entre les multiples scènes de son kaléidoscope, signe un terrible réquisitoire contre le communisme. «La plus machiavélique de ses inventions, fulmine-t-elle, c'est d'avoir fait de chacun un suspect, de nous faire douter les uns des autres.» Et, plus loin: «Si on n'écrit pas selon leur censure des pages sur le Parti et la classe ouvrière, pas moyen d'être édité.» Mais la romancière n'est pas plus tendre avec ce qu'elle nomme cruellement les «tares» nationales. «Ici, en Roumanie, ajoute-t-elle, personne n'acceptera de créditer son prochain d'un sentiment généreux, d'une action désintéressée. Car dans ce pays, les honnêtes gens ignorent aussi bien la solidarité que la courtoisie.» C'est dire que cette Matinée perdue fait mal: un impitoyable brûlot, attisé par le souffle magistral d'une prose incendiaire.
A partir du 15/11 à Lyon.
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