J'ai découvert, juste avant ma longue fuite en Roumanie, un livre qui m'a bouleversée - chose qui m'arrive de moins en moins. Et pas du tout avec les livres de la "nouvelle" génération.
"Le mur des lamentations" c'est l'histoire d'un jeune père de famille qui se découvre, en pleine gloire (1) professionnelle et familiale, un cancer. Et qui n'a pas peur de poser en victime, vous l'aurez déjà compris: " J’ai toujours adoré me plaindre, me lamenter. Enfant, je me plaignais d'un plat trop sale ou de la sévérité de mes maîtres (...) Installe dans la vie d'adulte, j'ai continue a me plaindre au saut du lit, a la machine a café, le soir au coin du feu, en famille.... Et puis un jour, frappé par le destin, j’ai décidé de faire victime de compétition. Pas simple ! La concurrence est rude. Il faut savoir gémir sans lasser, communiquer tout en restant naturel, attendrir sans écœurer. Heureusement, les gens sont gentils, ils vous aident à réussir. L’époque aussi est propice. Elle assure le soutien psychologique, fournit les kleenex et prend les photos.".
Au fil des 280 pages (c'est écrit grand !) nous le suivons au travail, a la maison, avec les amis. Nous nous attachons a lui, ce Maouh qui plait aux femmes, a qui tout réussi, mais qui a si peur. Son "astroïde" grignote ses nuits, et peu a peu sa famille:
"Je les ai trouvées toutes les trois, en refermant la porte. Une femme et deux petites filles. J'avais oublie. Je suis marie et j'ai deux enfants.
Papaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !
Mais qu'est-ce qu'elles me veulent? Ca court, ça saute, ça jappe autour de moi. Je peux a peine les prendre dans mes bras. Pour la première fois, elles n'ont pas de goût, ne sentent pas la fleur d'oranger, ne chantent et ne crient rien qui vaille.
Ces kilos de filles pèsent des tonnes.
Bizarre. Hier encore, j'entrais en grognant.
' Ca sent la chair fraîche!"
-Aaaaah!"
Et ça criait, et ça sautait, et c'était bon. et j'étais beau. Je les trouvais planquées derrière le rideau, hurlantes et tremblantes, et je les dévorais de tendresse au ketchup et je me retenais de ne pas mordre pour de vrai dans le gras-double de leur bidon plein de pâtes et de Knacki. Voila comment c'était, hier.
Juste hier.
J'étais le prince Philippe de la Belle au Bois Dormant et je les avais toutes a mes pieds et je trouvais ça bon, et c'était le printemps en hiver (...) ".
(extrait du chapitre Cellule familiale de crise, juste après la terrible annonce du diagnostic ).
"Quel livre triste", pensez-vous. A tort ! Le mur des lamentations est un livre drolissimme, un regard cynique sur cette société Guilhem-ienne (Guil quoi?) ou les choses et les hommes n'ont plus de sens.
Je pourrais vous parler encore longtemps de ce Maouh a qui j'ai pense tout l'été mais ou serait la surprise ? La joie de découvrir, au fil des pages, et avec votre regard, Maouh ?... ( en réalité je n'ai pas écrit en français depuis deux mois et par je ne sais quel mystérieux phénomène quand je suis en Roumanie, mon cerveau fait table rase - ou presque - de mon français. Et ce livre est vraiment bon. Ce serait dommage d'écrire une mauvaise chronique!
Alors, pendant vos vacances, faites-moi confiance, lisez-le, et on se retrouve fin septembre, autour d'un apéro face a la mer, pour dire a Abiker tout le mal que nous pensons de sa description de la femme au foyer!
David Abiker est cadre sup’. Chroniqueur pour Arrêt sur images (.net aujourd'hui) et France Info. Après Le musée de l’homme publié en 2005, Le mur des lamentations est le deuxième volet d’une trilogie burlesque sur notre époque.
Post scriptum, trois mois plus tard....
L'explication de son essai par David Abiker, il le fait dix fois mieux que moi:
- Quand/comment avez-vous eu l'idée d'écrire Le mur des lamentations?
L’idée du livre est venue naturellement, à la fin du Musée de l’homme. Le projet d’un essai comique sur la victimisation s’est imposé à force de regarder la télévision. J’y voyais la mise en scène de toute la misère du monde non pas dans l’objectif d’informer mais plutôt dans celui de compatir, de plaindre, de commémorer, de se recueillir. Au départ, je voulais écrire une pièce de théâtre. Elle se serait déroulée dans une loge de maquillage avant un talk show genre Fogiel ou Ardisson. Une dizaine de victimes type, de la femme battue au président de société mis en examen en passant par le chanteur déchu. Ils auraient échangé devant le miroir, en professionnels de la victimisation et de la lamentation. Mais finalement, je suis tombé malade et j’ai décidé d’utiliser ce point de départ pour raconter l’histoire d’un cancéreux qui décide de se servir de sa maladie pour acquérir une reconnaissance médiatique. Ces cancéreux, décidément, on ne peut pas les tenir ! Le Mur des lamentations est autant un essai sur la manière dont nous gérons la maladie individuelle qu’une réflexion sur la façon dont la société médiatique utilise la souffrance pour faire de l’audimat.
- Qui est Maouh?
Maouh c’est le héros créé pour le Musée de l’homme et qui a repris du service, comme 007, dans le Mur des lamentations. Je lui ai collé une tumeur là où je pense et je le regarde s’en dépatouiller avec une certaine tendresse. L’idée était de voir comment une victime qui mériterait la compassion peut nous conduire sur des chemins dangereux en réclamant de façon artificielle et narcissique une reconnaissance indue. Qu’on aime nos victimes c’est une chose, qu’on les laisse prendre le contrôle de la société en alimentant le pouvoir de l’émotion médiatique c’en est une autre. C’est ce que Maouh va apprendre au travers d’un parcours initiatique et médiatique qui le conduit à prendre conscience du monde qui l’entoure. Cette prise de conscience est d’ailleurs hâtée par sa rencontre avec Guilem, un jeune altermondialiste cul-de-jatte. Un cul-de-jatte qui ne se plaint jamais. L’anti-Maouh, en quelque sorte. Maouh, enfin, est un homme qui vit entouré de femmes, qui se repose un peu sur elles et qui a un besoin boulimique de leur amour. C’est ce qui le rend sympathique. Il aime et il aime être aimé. Ce n’est pas une excuse mais ce n’est pas non plus un crime.
- Quel est votre plus beau souvenir lié au Mur?
Un livre, quand on a la chance de l’écrire, de le terminer et de le publier, c’est une série de bons souvenirs. Il y a d’abord la trouvaille, le sujet qu’on va dérouler. Ensuite, il y a les fous rires solitaires, quand j’ai écrit certains passages. Il y a aussi l’émotion, quand je fais revivre ma grand-mère pied noire, juive marocaine, Mamie Zazou. Il y a aussi la complicité avec Gilles mon éditeur, qui est devenu un ami très proche. Ensuite, il y a le titre qu’il a trouvé et qui est une merveille. Je trouve formidable d’avoir publié un livre avec un titre pareil. Franchement, je m’envie… Ensuite il y a les lecteurs. C’est autre chose. Mais un lecteur qui vous dit qu’il a ri tout seul dans le métro, c’est bien. Un prof de philo qui vous dit qu’il l’a recommandé à ses élèves, c’est encourageant. Et puis bien sûr, parfois vous êtes interviewé par des journalistes qui ont eu le temps de lire le livre. Dans ces cas exceptionnels, le plaisir l’est tout autant. Cultivé, spécialiste ou ignare, chaque lecteur compte. Pour le Mur des lamentations, je suis également intéressé par l’avis des médecins qui aiment, généralement. Et des malades, aussi. Un de mes amis a fait lire le livre à son père qui avait un cancer en phase terminale. Il paraît qu’il riait, malgré tout, ça m’a ému et réjoui en même temps. J’oubliais, les salons où l’on rencontre des lecteurs. C’est toujours plaisant. Finalement, un livre, ce n’est que des bons souvenirs ! Ce qui est important pour moi, en tout cas, c’est d’éviter l’autofiction si on a rien d’autre à dire. Mes livres me racontent, mais ils ont un propos sur l’époque et les travers que je lui trouve. Il y a dedans des convictions auxquelles je tiens beaucoup.
Le Mur des lamentations
Tous victimes et fiers de l'être !, éditions Michalon, 15 euro, vous pouvez le commander chez Activaussi, livré en 24 heures.
Pratique: Rencontre organisée par Activaussi, le vendredi 28 septembre à 20h30, au Pierrot, sur le Remblai des Sables d'Olonne , entrée libre, reservations au 0664762408 ou par mail [email protected] .
(1) Je n'ai pas lu son premier livre qui parle plutôt d'une vie assez ordinaire; mon impression d'ascension, liée a la lecture du deuxième, est donc peut être fausse.
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